mercredi 1 juin 2011

Table ronde


Emmanuel Bellanger

La première question est de l’ordre de la théologie du chant lui-même comme acte corporel et sensible, autrement dit comme lieu d’une traversée effectuée entre sa première note et sa dernière, trajet vocal et musical (dans le meilleur des cas) étroitement lié à un trajet rituel qui, par nature, nous métamorphose.
La liturgie et la musique liturgique « servent-elles » ? Les textes conciliaires le rappellent sans cesse, c’est le Christ qui est là dans la Parole proclamée et le pain rompu. Voir SC §7. C’est le Christ lui-même offert par grâce à notre hospitalité : la liturgie ne sert pas, elle est le lieu d’une rencontre possible. Nous sommes invités à nous laisser saisir par le Christ, peut-on « saisir ce qui vous saisit » ? selon le mot de Patrice de La Tour du Pin.
La deuxième question est de l’ordre de l’histoire et de l’esthétique. La rencontre parfois heurtée des styles musicaux fait souvent souffrir les musiciens, mais le choc des cultures a toujours existé : voir les étranges conceptions architecturales et ornementales du XVIIIème siècle concernant l’art médiéval, par exemple.
Plus fondamentalement, le duo tradition/modernité s’enracine dans une double conception théologique de la liturgie. Ou bien l’accent est mis sur l’intemporalité de l'Église dans une pérennité de son répertoire et la recherche d’une fidélité du chant aux fondateurs, ou bien sur l’assemblée présente qui, dans sa nature propre, donne à entendre l'Église d’aujourd’hui, en un lieu précis de la terre, riche d’une culture nécessairement évolutive, immergée dans le monde contemporain. Que cherche-t-on dans la liturgie et sa musique ? L’expression d’un dogme, une conformité à un rite, une expérience de Dieu, un comportement individuel et collectif ?
Quant à la troisième question, pour ce qui concerne la liturgie catholique, la diversité musicale est non seulement possible, mais souhaitable voire indispensable. Compte tenu, évidemment des limites de compatibilité toujours difficiles à définir car cela touche aux questions de goût. La conception catholique de la musique liturgique, ou plutôt de l’acte de musique dans la liturgie, est de chercher à mettre chaque membre d’une assemblée dans la juste attitude spirituelle, de faire entrer dans le rite, de « chanter la liturgie ». Voir la charte des chanteurs liturgiques. La question n’est pas celle de la juxtaposition, mais celle de l’articulation, de la « connexion » avec la liturgie, comme dit le Concile Vatican II. Le chant grégorien est un bel exemple de cette diversité des styles suivant la destination des chants : quoi de commun entre le chant de l’ordinaire assez peu orné, les hymnes syllabiques et les graduels aux mélismes très développés ?



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