mardi 31 mai 2011

La fonction de la musique dans la liturgie et plus largement dans l’Église

Joël Dahan

Servir la parole.
Être au service aussi de ce que nous prêchons
La musique permet d’exprimer ce que nous croyons autrement que par des mots et des actes
Ce texte est constitué de quelques réflexions données à l’oral. Il est écrit pour mémoire


     Nous affirmons une pluralité théologique. Nous avons une volonté d’ouverture à tous les milieux, nous tenons à accueillir dans nos cultes différentes confessions et expressions de foi. Nous affirmons la volonté de ne jamais s’enfermer dans un dogme.
« L’Eglise Réformée de France se veut une Église ouverte : elle reçoit comme membre toute personne qui reconnaît que « Jésus-Christ est le Seigneur ».
Elle accueille donc sans exclusive dans son culte, sa vie spirituelle et ses activités toutes celles et tous ceux qui veulent s’inscrire dans une démarche de foi.
Elle les invite à participer à sa mission de témoignage de l’Evangile, dans leur vie personnelle, dans l’exercice de ministères locaux (catéchètes, visiteurs, prédicateurs, animateurs, responsables de jeunesse,... ) comme dans leurs engagements au service des autres (diaconats, œuvres et mouvements, associations diverses...) » (présentation de l’ERF)
Dans les faits, ce sont des quinquas qui dirigent ; la musique est classique ; celle qui se dit nouvelle a été composée dans les années 70, (ou il y a plus d’un siècle comme le gospel) ; les acteurs du service sont à la marge.
La musique est le lieu de la rencontre possible des différentes sensibilités culturelles et théologiques.
Comment sortir de l’événementiel qui fait du culte avec les étrangers un sympathique culte exotique, les cultes avec les jeunes un culte qui rassure et dans lequel on peut laisser passer n’importe quel message ?
La diversité musicale organisée oblige à se décentrer régulièrement, vivre avec, ne plus ignorer. (Dans le texte des Actes, Pierre est invité à manger ce qui semble impur pour aller à la rencontre de Corneille. Peut-on chanter de « l’impur » pour accueillir l’autre !)
     Nous souhaitons assumer une histoire. Celle de la réforme, mais aussi celle des générations précédentes. « Tu raconteras à tes enfants » Ps 78. (« Vous avez entendu, mais moi je vous dis », dans Matthieu).
La musique est aussi le lieu de la mémoire. Elle rend compte du témoignage des anciens. Elle montre dans ces œuvres que les textes ont été lus, reçus dans d’autres contextes. Elle peut être un chant comme le Psaume 78 qui dit la vérité autrement que le dogme, sans jamais l’enfermer. Elle peut être l’interprétation du Christ qui n’abolit pas, mais reprend, relit, confronte. La musique a cette capacité de mélanger, reprendre, évoquer… Exemples : psaume en jazz, ou musique du film Lambaréna sur Albert Sweitzer.
      Nous souhaitons assumer l’étrange : l’Église universelle et les migrants. Comment passer des synodes entiers à parler de l’accueil de l’étranger sans que cela se voie et se vive dans nos cultes, nos liturgies, notre musique (question des Église ethniques). La musique peut être au service d’un témoignage d’ouverture à l’autre. une Église à l’écoute de la modernité (se réformer sans cesse) : l’ERF est souvent accusée de suivre le mouvement de manière démagogique, sans poser de limites et d’accueillir toutes les nouvelles formes de vies, d’expression au nom de la liberté de conscience et de l’ouverture. La musique partagée, organisée et travaillée peut être le témoignage que ce n’est pas l’histoire ou la mode qui régit notre vie communautaire, mais la reconnaissance de la place de chacun à égalité avec les autres (ex : un chant sénégalais d’une maman qui baptisait son enfant lors du culte de la Réformation a choqué. Quelle place a cette femme ?).
L’Église est le lieu d’annonce d’un message universel. Elle est le lieu le mieux placé pour assumer une multiculturalité. (Voir les Actes !!). La musique est le moyen approprié pour un partage interculturel (pas besoin de passer par les mots, l’expression des préjugés au départ…) par la musique, découverte du monde de l’autre. Si je ne peux pas entrer avec lui dans le battement des mains, je peux me décentrer et me réjouir de la joie de l’autre. La communion, n’est pas l’uniformité des comportements et des expressions.
      Nous souhaitons dire ce que nous croyons sur le corps : sur ce point, nous savons que c’est moins une question théologique qu’une question culturelle, ou de milieu social. Il y a des milieux dans lesquels on ne saute pas de joie ou même on ne se touche pas. Aujourd’hui, les choses ont un peu évolué, la danse s’est démocratisée, les hommes s’occupent de leurs enfants, on se fait plus facilement la bise (même entre présidents !!), la relation au corps n’est plus la même. Sauf quand on chante un psaume ?
Mais comment comprendre cette difficulté de la musique classique, complexe, et rigoureuse, à se mélanger à d’autres formes d’expression musicale ? Surtout dans les Églises. (et inversement, la musique classique est mal accueillie dans certaines Églises évangéliques). Est-ce cette menace des  « désirs de la chair » (Galates 5), des sens, sollicités par la musique ? le corps comme un suspect permanent ?
Lorsque Paul oppose la chair et l’Esprit, il n’oppose pas deux morceaux de l’homme. L’un bon, l’autre mauvais. Il oppose deux dominations. On ne peut pas suivre deux maîtres. La musique peut devenir aussi une idole, un maître. (ex : par la musique… l’alcool et les tam-tam, des transes peuvent avoir lieu dans certains pays africains ou certaines fêtes. La liberté est alors perdue.)
      Par la musique, nous affirmons que nous ne pouvons pas tout maîtriser, baliser. Il y a des expressions qui nous échapperont toujours dans la liturgie. (pourquoi avoir peur de l’inattendu dans la liturgie ?)
La musique classique occidentale est contrôlable, écrite, balisée, dans des codes (elle est appelé sacrée. Et on sait que le sacré est balisé dans l’Ancien Testament). La musique issue du gospel, rock, africaine, est « orale ». Comment transmettre un patrimoine quand tout semble éphémère, en permanente construction. (Comme internet) ? Dans l’évangile, la liberté, c’est être libéré des balises de la loi, du pur et de l’impur et même du travail, du souci de demain. C’est marcher à la suite, inventer sans cesse, accueillir l’inattendu, quitte à se confronter au paganisme. Pour que la musique ne soit pas sacralisée, là encore, les règles musicales doivent rester des repères, pour vivre ensemble, chanter, jouer ensemble (avec les « païens » !). Mais comme la loi, tout est permis, mais tout n’est pas utile. Il faut toujours mettre la musique au service du message et non d’une culture, d’une histoire…
      Mais la liberté, c’est aussi être libre par rapport aux idoles. La musique parle aux sens, elle les appelle, elle peut aussi avoir une influence sur l’Homme qui peut ne plus être libre. (Einstein : « Je méprise profondément ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu'ils ont reçu un cerveau ; une moelle épinière leur suffirait amplement ».) Certaines musiques peuvent accompagner des comportements à risque, violence… mais elle est instrumentalisée (comme la prédication peut l’être d’ailleurs…). Aucune musique en soi ne peut être diabolisée. Une musique, comme l’image, n’inspire pas les mêmes choses selon la culture, l’âge….
      Par la musique rendre compte de la désacralisation : on peut alors refuser la frontière sacré/profane. Nul ne peut la poser. La musique peut-elle témoigner de cette affirmation protestante selon laquelle le sacré ne peut pas être délimité ni même désigné ? Et nous savons combien le sacré ne concerne pas seulement la religion. Comment par notre pratique musicale rendre compte de ce souci (calviniste) de désacralisation de l’institution, des bâtiments, du culte… ?
Il n’y a pas de frontières musique chrétienne (sacrée), musique profane, de grande musique ou populaire. Les frontières ont explosées, les genres et les discours se mélangent.
On sait bien que le monde chrétien n’a pas pu vivre sa musique dans une bulle sans influence. Si une frontière commençait à se dessiner en même temps que la construction liturgique, les influences ont toujours passé les frontières dans les deux sens.
Du coup la question est la même que pour les repas, les rites de pureté ou d’impureté : la liberté prime sur la loi. Ne pas choquer le plus petit.
      Nous souhaitons assumer le partage des rôles : comment vivre le partage des dons… musicaux dans un culte réformé ? L’orgue doit avoir toute sa place, mais pas toute la place. Nous avons besoin d’une décléricalisation des instrumentistes.
La musique créé du lien. Colossiens 3/16 ou I Corinthiens : « Parlez vous, instruisez vous par les hymnes et des chants ». Dans ce texte, ce n’est pas tant l’exhortation à chanter qui est importante, mais l’exhortation à se parler par des chants.
La musique et la liturgie sont peut-être toujours en création à l’intérieur d’un cadre qui est moins une construction dogmatique, qu’une maison familiale dans laquelle on a ses repères et une histoire. Une maison dans laquelle on veut vivre ensemble toutes les arrivées et les départs, les influences d’une vie familiale…
Voici un article que j’avais écrit dans Le Cep qui résume mes propositions :


La musique en Église dans tous ses états. Le regard d’un pasteur.

La musique c’est comme l’étranger. On l’aime quand elle ne s’exprime pas trop fort, quand son look ne détonne pas trop, quand elle suit des règles bien précises, quand elle connaît l’histoire, quand elle utilise les bons instruments, quand elle est instruite et quand elle parle bien la langue majoritaire.
Élargir le répertoire musical de nos cultes et faire appel à différents instruments, c’est témoigner de la diversité sociale et culturelle de nos Églises. La musique peut être un des moyens pour exprimer et vivre l’ouverture aux autres, l’accueil de la différence, de l’inattendu, de la parole qui bouscule ! Concrètement, ouvrir le culte par un jeu d’orgue, le finir par un gospel, chanter un psaume et entonner un cantique pour enfant n’a rien d’incompatible. Les lieux qui ne se contentent pas de tolérer ou subir cette diversité, mais qui choisissent de la faire vivre systématiquement, voient les talents se révéler, des enfants prendre leur place au culte, des étrangers partager leur culture. Et rien n’empêche un clarinettiste, après avoir joué son morceau tendance rock d’aller accompagner une cantate avec l’organiste !
Ainsi la musique crée du lien entre les cultures, les générations. Elle est le lieu de rencontres inattendues lorsque les uns et les autres ont placé au second plan leurs goûts personnels et leurs prétentions… pour mettre en avant la fraternité. Ce lien qui permet de se reconnaître, non plus comme bons ou mauvais musiciens, mais frères et sœurs au service des autres.
Il faudra alors ne pas avoir peur de l’éphémère et de l’essai. Comme la prédication, la musique en Église n’a rien du spectacle ou de la prestation. La qualité d’un cantique ne se mesure pas au nombre d’années qu’il reste dans les recueils mais bien à la manière dont il a été reçu par tel ou tel à un moment donné de son histoire personnelle. Permettons aux musiciens comme on le permet aux pasteurs de risquer une intervention et de balbutier parfois.
Les Églises locales peuvent faire de la musique le lieu des frontières ou un lieu de partage. Mais il faudra là encore renoncer à dire le bon et le mauvais.

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